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Site de Serge Barcellini
21 mars 2009

Intervention présentée à l’Assemblée Nationale

Organisée par l’Association Nationale pour le Souvenir des Dardan
Le souvenir, la Mémoire, l’Histoire
Réflexions sur la politique de mémoire de la Grande Guerre

Alors que nous nous rapprochons du centenaire de la Grande Guerre, il devient possible de réfléchir et d’analyser l’évolution des politiques de mémoire mis en place depuis l’évènement fondateur que constitue la Grande Guerre.

Mais, en premier lieu, il faut s’entendre sur les mots. Qu’est-ce qu’une politique de mémoire, c’est l’utilisation à un moment donné (le Temps présent) d’un évènement historique (dans notre cas, la Grande Guerre) par des acteurs divers (l’Etat, les associations, etc.). Dès lors chacun comprendra que les trois termes de l’équation peuvent évoluer.

  • Le temps présent et la place de la Grande Guerre dans le débat politique
  • L’évènement historique et l’évolution de la recherche
  • Les acteurs et l’importance de la vie associative

Dans cette vision globale des politiques mémorielles, la politique de mémoire de la Grande Guerre tient une place spécifique pour trois raisons essentielles :

  • D’abord en fonction de sa massivité historique (8 Millions 500 000 combattants, 1 Million 300 000 morts)
  • Ensuite, en fonction de sa place dans l’idéologie fondatrice de la Nation
  • Enfin, en fonction de l’importance du groupe d’acteurs que sont les anciens combattants.

C’est donc le croisement entre cette équation traditionnelle (évènement, temps, acteurs) et sa spécificité (utilisation idéologique, groupe d’acteurs) que nous allons étudier et sur lequel nous allons réfléchir ensemble.

Cette réflexion, j’ai souhaité la regrouper autour de trois thèmes (Souvenir, Mémoire, Histoire), trois thèmes qui structurent les politiques de mémoire de la Grande Guerre.

I.    D’abord le temps du Souvenir

C’est le temps des deux générations qui suivent la Grande Guerre (environ 50 ans, 1918 > 1968)

Les termes de l’équation :

  • L’évènement : sa connaissance est enracinée dans l’opinion publique. Les noms des batailles sont connues de tous (Verdun) ceux des chefs militaires également. Le monument aux Morts est inscrit dans la quotidienneté du vécu des villageois et des citadins.
  • Le temps présent : sur les 50 ans, il connaît des fortes évolutions dont la principale est la seconde guerre mondiale. A partir de 1945, la première guerre mondiale est concurrencée. Les évolutions dépendent également de la volonté de ceux qui définissent la politique de mémoire -et en premier lieu- le gouvernement (évolution en fonction de la couleur politique et des choix). Quoiqu’il en soit, pendant ces 50 ans, la Grande Guerre est une référence dans le débat politique français.
  • Les acteurs de la politique mémorielle : la spécificité est donc le monde combattant. Durant ces 50 ans, les données sont claires. L’acteur collectif de la Grande Guerre est omniprésent

        - 7 M 200 000 anciens combattants en 1919 pour la plupart membres d’associations
        - 1 électeur sur deux
        - En 1966 (le 50ème de Verdun), c’est entre 3 et 4 millions d’anciens combattants qui sont encore en vie

Cette équation : connaissance enracinée, temps présent favorable, acteurs nombreux marquent ce que l’on appelle Le Temps du Souvenir.

  • La force de ce Temps, c’est que de plus il correspond à une vision idéologique. La nation est d’abord construite sur des souvenirs partagés de deuil (Cf. Ernest Renan)
  • Les limites du Temps du Souvenir

        - La force des lieux auxquels ont participé le plus grand nombre (Verdun) réduit la place des lieux moins « importants » (Les Dardanelles)
        - La force du sacré réduit la recherche historique
        - L’absence de réflexion sur le passage de relais renforce les monuments aux morts au détriment des musées

II.    Ensuite le Temps de la Mémoire

C’est le temps des deux générations qui suivent (50 ans, 1968 > 2018). Les termes de l’équation :

  • L’évènement : il est de moins en moins connu. Sa place est de plus en plus réduite dans l’enseignement (concurrence des évènements historiques). Le monument aux morts devient un lieu de mémoire (en clair, un lieu qui n’est plus dans la quotidienneté)
  • Le Temps présent : l’utilisation de la mémoire de la Grande Guerre n’entre plus dans le champ politique. On se divise sur de Gaulle, sur la Shoah, sur Vichy par sur Verdun
  • Les acteurs mémoriels : les anciens combattants fondent –avec la disparition symbolique du dernier poilu en 2008-. Les fils et filles prennent le relais mais leur légitimité mémorielle est moins grande.

La traduction de ce temps de la Mémoire :

  • C’est moins de connaissance partagée et moins de cérémonies
  • De plus, en terme idéologique. La Grande Guerre n’est plus la référence incontournable de l’idéologie nationale (Cf. la repentance et les droits de l’Homme)
  • Une remarque cependant : L’évènement historique est retravaillé par les historiens (c’est le plus) mais ce travail est influencé par l’idéologie dominante (les droits de l’Homme > les fusillés)

III.    Enfin le Temps de l’Histoire

C’est le temps qui s’ouvre avec la 5ème génération d’après guerre (à partir de 2010/2020). Les termes de l’équation :

  • L’évènement, il est historisé. On ne le connaît qu’à travers les livres ou les films. La tradition familiale s’estompe. 14-18 devient pour ces générations ce qu’est Napoléon III pour la notre
  • Le Temps présent : 14-18 est totalement hors du champ politique et hors du champ idéologique
  • Les acteurs : les associations qui entretiennent le souvenir sont des associations mémorielles qui n’ont plus de racine dans l’évènement mais s’inscrivent généralement dans un site (entretien d’un monument, d’un champ de bataille)

La traduction de ce Temps de l’Histoire : une raréfaction de la référence à la Grande Guerre. Mais, apparition d’éléments novateurs

  • D’abord l’élément économique. La mémoire est un vecteur économique à travers le tourisme, qui crée des emplois. Les champs de bataille deviennent des lieux de tourisme de mémoire
  • Ensuite, l’élément diplomatique. La mémoire partagée reste une base essentielle des relations internationales (les Dardanelles pour l’entrée de la Turquie dans l’Europe)
  • Enfin, l’élément familial. Le réenracinement familial est fourni par la généalogie –qui redécouvre la Grande Guerre

C’est sur ces dernières réflexions que je clôturerai mon propos :

  • La Grande Guerre est un fondement de l’histoire universelle
  • Ce moment a été porté dans le temps présent par les anciens puis par leurs descendants
  • Ce moment sera porté demain par les lieux et par l’histoire familiale

L’association des Dardanelles a encore une longue vie devant elle.

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